Pratique excessive des jeux vidéo : peut-on être « addict » ?
Un point revient systématiquement dans les débats lorsque l’on décide d’aborder la question des outils numériques et de leur pratique par les jeunes (et moins jeunes). Nombreux sont les parents qui expriment leur inquiétude quant à une possible « addiction » de leurs adolescents avec les écrans, et plus particulièrement avec les jeux vidéo. Mais une question mérite d’être posée : existe-il réellement une « addiction » aux jeux vidéo ?
Rappelons tout d’abord que l’idée qu’il puisse exister une addiction à Internet et aux jeux vidéo est à relier avec ce qu’Aviel Goodman a appelé, au début des années 90, les « addictions sans substance ».
Les addictions sans substance peuvent être assez compliquées à définir, étant donné qu’Aviel Goodman n’en a pas donné qu’une seule définition autour de laquelle il aurait été possible de s’entendre, mais plusieurs successivement. Il décrivait, en effet, tout d’abord l’addiction sans substance comme un comportement associant :
- la perte du contrôle des impulsions : soit l’impossibilité pour la personne de s’empêcher de faire ce qu’on désire très fortement ;
- la compulsion : soit le fait de se sentir soulagé après avoir effectué cette action ;
- la poursuite du comportement, et ce malgré ses conséquences négatives.
Mais dans un second temps, Goodman décida qu’il ne suffisait que de deux caractères pour définir une addiction : compulsion et perte du contrôle des impulsions pouvaient suffire pour qualifier le sujet d’addict, à partir du moment où l’un de ces deux comportements était associé à la poursuite du comportement malgré ses conséquences négatives. Bref, la définition des « addictions sans substance » était d’emblée conflictuelle. Tellement conflictuelle que seul le Gambling (l’addiction aux jeux d’argent) fut reconnu de manière officielle comme « addiction » par les manuels officiels de diagnostic.
En tous cas, à ce jour, aucune classification internationale ne retient l’existence d’une « addiction » aux jeux vidéo, que ce soit le DSM de l’American Psychiatric Association, ou la Classification Internationale des Maladies Mentales de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS).
Précisons d’ailleurs que l’Organisation Mondiale de la Santé se prépare à publier la 11e version de sa Classification Internationale des Maladies Mentales. Les personnes favorables à la reconnaissance d’une addiction aux jeux vidéo se battent pour que ce trouble soit inscrit dans la classification, afin que les personnes bénéficiant d’un traitement puissent être remboursées. Ceci n’est pas étonnant, comme peut le relever Yann Leroux sur son blog : « Dans un pays comme les USA ou la seule clinique spécialisée dans le traitement de ces addictions facture 15.000 dollars les 45 jours de prise en charge et où la séance de thérapie en libéral est à 150 dollars, on comprend que cette reconnaissance est importante. »
Il convient également de rappeler que la pratique excessive d’Internet ou des jeux vidéo ne s’accompagne ni de syndrome de sevrage, ni de rechute : les ados qui jouaient beaucoup, voire de manière pathologique, peuvent très bien devenir après quelques temps des joueurs occasionnels. Proclamer également que les jeux vidéo seraient « addictifs » car ils augmenteraient le taux de dopamine chez le joueur est également à questionner, puisque c’est également le cas pour une relation sexuelle, voire aussi un bon repas ! De plus, le plaisir résulterait d’un circuit impliquant la dopamine tandis que l’addiction résulterait d’une perturbation d’un autre circuit placé sous la dépendance d’une balance entre noradrénaline et sérotonine (rapport de l’INSERM de 2005).
Bien évidemment, dire que le concept d’addiction aux jeux vidéo est à questionner ne veut pas dire qu’il n’existe pas de pratiques excessives de ces outils vidéoludiques chez les jeunes, et particulièrement chez les adolescents. Les jeux vidéo peuvent en effet avoir un fort effet captivant pour le joueur, de par son histoire, ses décors, le fait de le partager avec ses pairs (par une pratique en réseau par exemple), sa maîtrise, etc. Un « contrat » sur le temps de jeu par jour ou par semaine, négocié avec les parents et l’adolescent, pourrait alors s’avérer intéressant, tant que chacun peut entendre le discours de l’autre. Cela permettrait en effet de fixer des règles précises (et instituées en avance) sur le temps d’écran, afin d’aider l’adolescent à contrôler ses impulsions. Bien évidemment, l’adolescent ne respectera pas à la lettre son contrat, et cherchera de temps en temps à jouer avec la limite imposée. Cela ne change pas le fait que ce contrat sera là pour l’aider, et que si jamais certaines conséquences négatives sont observables, et directement en lien avec une pratique trop forte (comme une diminution du sommeil qui entraînerait une chute des résultats scolaires), il serait important de revoir ce contrat.
De plus, ce n’est pas parce que nous considérons qu’il est important d’arrêter de parler d’une « addiction » aux jeux vidéo que nous ne prenons pas en compte l’existence d’un jeu excessif « pathologique ». En effet, certains jeunes pourront montrer une consommation excessive des jeux vidéo ayant de nombreux retentissements durables sur sa vie de tous les jours (perturbation du sommeil, trouble du comportement alimentaire, absentéisme et/ou échec scolaire, retrait social, diminution drastique de toute autre activité, etc.). C’est ici qu’il sera important de distinguer un jeu excessif non-pathologique, qui est de l’ordre de la passion et enrichit le lien avec les autres joueurs passionnés, et le jeu pathologique qui n’a pas pour but de trouver un plaisir dans le jeu, mais de fuir un déplaisir en s’enfermant dans les mondes numériques. Ce n’est donc pas le nombre d’heures passées devant les jeux qu’il faudra prendre en compte, mais plutôt la socialisation du joueur (que ce soit In Real Life ou dans les univers numériques), et les raisons qui le poussent à jouer.
Plusieurs raisons peuvent en effet pousser l’adolescent à se réfugier dans les jeux vidéos, que ce soit une réalité extérieure vécue comme persécutrice (harcèlement, rupture amoureuse, deuil, divorce des parents, etc.), un début de pathologie mentale (dépression, phobie, psychose, etc.), mais le plus souvent, la raison cachée se révélera être l’angoisse de la crise d’adolescence. C’est pour cette raison que le jeu « compulsif » prend généralement fin à la fin de la crise d’adolescence, et que rien ne peut laisser préjuger de l’évolution des comportements d’usages excessifs des outils numériques à l’âge adulte. Dans le jeu vidéo, l’adolescent trouvera un moyen de maintenir une activité fantasmatique centrée sur l’omnipotence : il pourra être un « Dieu créateur » ou un « Héros sauveur de l’humanité », lui permettant de contrer la mauvaise estime de soi ou le sentiment de solitude, si courants à l’adolescence. Le danger étant, cependant, que le joueur qui se retrouve dans cette situation commence à jouer pour oublier une situation traumatisante, mais qu’il finisse au bout d’un temps par tout oublier, ne sachant plus pourquoi il joue autant.
Ainsi, l’impression que certains parents peuvent avoir à propos d’un jeu excessif chez leurs adolescents est un point sur lequel il est essentiel de s’arrêter. Tout d’abord, il faut chercher à voir si le temps de jeu a été suffisamment « cadré », par un contrat validé par l’adolescent et ses parents. Si cadrer le temps de jeu n’a pas suffit, il est également important de voir si le parent s’est intéressé aux jeux auxquels jouent son adolescent : lui pose-t-il des questions sur son scénario, sur le rôle de son avatar, sur le but de ses quêtes, etc. ? Les parents ne seront en effet plus des interlocuteurs de confiance s’ils déconsidèrent les jeux vidéo et portent un discours désintéressé, voire négatifs, sur la culture de leurs adolescents. Il est important d’en parler en famille pour qu’ils deviennent un sujet de partage et d’échanges familiaux. Si jamais tout ceci n’a pas suffi, et que le parent continue à trouver la situation inquiétante, un rendez-vous avec un spécialiste pourra alors être utile.
Le psychologue cherchera en effet à distinguer un jeu pathologique d’un jeu non-pathologique. Car bien évidemment, même si le jeu excessif à l’adolescence s’avère le plus souvent être non-pathologique, un jeu pathologique doit être identifié et pris en charge pour comprendre ses raisons sous-jacentes, et trouver son élément déclencheur. Plusieurs situations seront alors envisageables, de la thérapie individuelle à la thérapie groupale, en passant par la thérapie familiale. L’important étant de travailler avec l’adolescent sur les raisons qui peuvent le pousser à fuir la réalité et les relations sociales, en posant certaines questions qui ne relèveront pas forcément du nombre d’heures passées devant le jeu, mais plutôt de la manière de jouer et de l’histoire du jeune en général. Voilà en quoi un travail thérapeutique pourra s’avérer intéressant, et utile.
C’est donc sur ce point qu’une connaissance des univers vidéoludiques et de la culture des jeux vidéo pourra être considérée comme un « plus » chez le thérapeute travaillant auprès des enfants et des adolescents.
Pour plus d’informations, je vous conseille de consulter ces articles, courts mais très intéressants :
http://www.sergetisseron.com/blog/pour-en-finir-avec-l-addiction-aux
http://www.psyetgeek.com/specialiste-opposent-jeux-video
http://www.sergetisseron.com/blog/avantages-et-inconvenients-de
http://www.sergetisseron.com/blog/mais-pourquoi-parlent-il-donc-d